J’adore décrypter les défis sportifs hors du commun, et celui-ci me passionne particulièrement. Courir un marathon est déjà une sacrée performance, mais l’accomplir sans voir où l’on met les pieds? Voilà un exploit qui mérite qu’on s’y attarde. Quand on parle d’inclusion dans le sport, le marathon pour malvoyants représente l’une des plus belles illustrations de ce que la détermination peut accomplir. Tout comme il existe mille façons d’intégrer le sport dans son quotidien facilement, il existe des solutions pour permettre à tous de vivre l’aventure du marathon, même sans la vue.
Établir une connexion unique avec son guide
Quand tu cours sans voir, ton guide devient tes yeux, tes oreilles, et parfois même ton équilibre. Cette relation est fondée sur une confiance absolue et une communication constante. Les binômes sont généralement reliés par une cordelette, créant un lien physique qui accompagne le lien humain qui se développe.
Je me souviens d’avoir interviewé Michel Guéguen, un coureur non-voyant de 63 ans qui a terminé son septième marathon de Paris. Il m’expliquait que son guide ne se contentait pas de l’alerter des obstacles : « Il me décrit aussi l’ambiance, les encouragements de la foule, les costumes rigolos qu’on croise. C’est comme si je voyais la course à travers ses mots. » Cette dimension sensorielle transforme complètement l’expérience.
L’entraînement est crucial. Avant de se lancer dans un marathon, les binômes doivent passer des heures ensemble, d’abord sur une piste d’athlétisme, puis progressivement dans des environnements plus complexes. Le guide doit apprendre à être précis et directif dans ses indications, privilégiant « lève les jambes » plutôt qu’un vague « attention ».
Voici les éléments essentiels pour une connexion réussie :
- Une confiance mutuelle développée sur des mois d’entraînement
- Un système de communication clair et adapté au bruit ambiant
- La capacité du guide à décrire l’environnement de façon pertinente
- Une connaissance du parcours par le guide pour anticiper les difficultés
- Une synchronisation parfaite des foulées et des mouvements
Un défi unique en duo face aux obstacles
Les marathons urbains représentent un défi considérable pour les coureurs déficients visuels. Les guides perdent souvent leur voix après 42 kilomètres à signaler chaque trou, racine ou changement de direction. Pour les épreuves longues, deux guides peuvent se relayer, l’un se concentrant sur les obstacles immédiats tandis que l’autre anticipe le parcours quelques mètres devant.
Vincent Delion, atteint de rétinite pigmentaire avec une acuité visuelle d’1/10e, m’a confié lors de notre rencontre au marathon de La Rochelle : « Je ressens la course différemment. Je me fie aux vibrations de la foule, aux changements de revêtement sous mes pieds. C’est une expérience sensorielle intense. » Cette perception alternative de la course crée une connexion unique avec l’environnement.
Les conditions météorologiques ajoutent une couche de complexité. La pluie modifie les sons, le vent complique la communication, et les changements de luminosité peuvent affecter les coureurs malvoyants qui conservent une perception résiduelle de la lumière.
Obstacle | Défi pour le coureur | Solution apportée par le guide |
---|---|---|
Changements de direction | Désorientation possible | Annonce anticipée et guidage physique |
Obstacles au sol | Risque de chute | Instructions précises (lever les pieds, écarter à droite) |
Ravitaillements | Difficulté à s’hydrater en mouvement | Ralentissement et assistance directe |
Foule dense | Stress et risque de collision | Création d’un « couloir » sécurisé |
La liberté retrouvée sur 42,195 kilomètres
C’est peut-être l’aspect le plus touchant de cette aventure : le marathon offre aux coureurs déficients visuels une rare sensation de liberté et d’autonomie. Khalid Oshman, athlète srilankais devenu aveugle à 26 ans suite à une erreur médicale, décrit cette expérience comme « libératrice ». Dans la vie quotidienne, chaque déplacement est source de stress et d’appréhension. Sur le parcours d’un marathon, avec un guide de confiance, ces barrières tombent.
Jasmine Murrell et son mari Kevin Orcel, tous deux déficients visuels, ont participé ensemble au marathon de New York. Leur témoignage m’a particulièrement touchée : « Pendant ces heures de course, on oublie notre handicap. On est juste des coureurs parmi d’autres, avec cette sensation grisante de pouvoir aller n’importe où, de traverser une ville entière sans crainte. » Cette dimension psychologique dépasse largement le simple exploit sportif.
Les organisations comme BINÔMES ou Achilles International jouent un rôle crucial en mettant en relation coureurs et guides bénévoles. Certains marathons, comme celui de Paris, proposent même des départs spécifiques pour les coureurs handisport, trois minutes avant le peloton principal.
Les étapes vers cette liberté retrouvée :
- Trouver un guide compatible via une association spécialisée
- Établir une routine d’entraînement progressive
- Développer un langage commun et des codes de communication
- S’habituer progressivement aux environnements bruyants
- Participer à des courses de distances croissantes
Au final, ce qui me enchante dans ces histoires de marathons à l’aveugle, c’est que le handicap s’efface derrière l’esprit d’équipe et la performance partagée. Ces binômes nous rappellent que les limites sont souvent celles que nous nous imposons, et qu’avec la bonne connexion humaine, presque tout devient possible. Même courir 42 kilomètres sans voir où l’on va.